La voir se faire prendre

Hier soir, je me suis masturbé. J'ai regardé un extrait vidéo pornographique en ligne et j'ai joui avant même que le couple à l'écran ne dépasse le stade du baiser. Enlacés, ils s'embrassaient à pleine bouche. Et j'imaginais que celle qui mêlait sa langue à celle de l'homme était ma femme.

D'où cela me vient-il ? Je l'ignore. Je sais seulement que ça a commencé il y a très longtemps. Mon obsession. La voir se faire prendre. Se donner. Jouir dans les bras d'un autre. Sous les coups d'un autre. Et qu'elle aime ça. Et qu'elle me jette un regard de défi : "Ah, tu l'as voulu, mon chéri, tu l'as eu... Eh bien regarde ! Vois comme elle me fait du bien, cette bonne queue. Regarde comme ta femme se fait baiser !"

Il y a bien longtemps, disais-je, que la fièvre candauliste s'est emparée de moi. Candaule était ce roi de l'antique Lydie, en Asie mineure, qui était si fier de la beauté de sa femme qu'il ordonna au chef de sa garde, Gygès, de se cacher dans la chambre royale pour la regarder se déshabiller le soir. Mais la reine Nyssia l'aperçut et se révolta que son époux se fût permis de l'exhiber nue. Elle demanda donc à Gygès de tuer le roi et de prendre sa place sur le trône en l'épousant, ou bien de périr lui-même. Ainsi Candaule paya-t-il de sa vie sa fantaisie d'avoir voulu dévoiler l'intimité de sa femme. Par extension, le candaulisme est une pratique sexuelle liée à l'excitation de voir sa partenaire avoir des relations sexuelles avec un autre. La fin de l'histoire du roi Candaule, dont la source la plus crédible est le grand historien grec Hérodote, laisse à penser que cette pulsion peut s'avérer très dangereuse. Néanmoins, qui en est esclave ne parvient pas à s'en départir, au moins en tant que fantasme.

C'est du reste dans la sphère fantasmatique qu'est née ma propre pratique du candaulisme. J'ignorais bien alors que cette perversion se nommait ainsi lorsque, vers l'âge de 22 ans, vivant une relation chaotique avec mon amie de l'époque, faite de ruptures et de retrouvailles, il me prit un jour de lui avouer que j'aimerais qu'elle couche avec un autre homme pour me le raconter ensuite. Auparavant, et c'est toujours ainsi que ça commence, nous nous excitions mutuellement, pendant l'amour, en imaginant un autre partenaire à ma place. Caroline n'avait alors connu que moi, vierge au jour de notre rencontre adolescente. Aussi l'idée de vivre l'expérience de l'étreinte avec un autre partenaire la séduisait-elle. Et elle passa à l'acte. J'ai oublié l'identité de l'amant. Je me souviens juste du dialogue qui suivit, tenu dans notre lit à l'heure du coucher.
- Alors, tu as fait l'amour avec lui ?
- Oui.
- C'est pas vrai ! Et c'était bien ?
- Oui, très bien.
- Raconte.
Est-ce sa main qui est spontanément venue chercher ma verge, ou moi qui l'ai saisie pour l'y amener ? Toujours est-il que Caroline commença à me caresser. Comment décrire les sensations ressenties à ce moment ? Une excitation terrible, mêlée du coup de poignard dans le bas-ventre de la jalousie. Mais l'excitation folle prenait le dessus, dévorante. Je voulais connaître les moindres détails, les plus crus.
- On a tout fait, dit-elle, laconique.
Bien insuffisante précision !
- Tu l'as sucé ?
- Oui.
- Et lui, il t'a léchée ?
- Oui.
- Il t'a prise en levrette ?
- Oui. Tout, je te dis, on a tout fait !
Si sa façon de le raconter était décevante, mon imagination faisait le reste. J'avais adoré qu'elle ose passer à l'acte. Qu'elle en ait profité pour goûter son sexe de la bouche, qu'elle se soit offerte à son tour à sa langue, cuisses écartées, qu'elle lui ait tourné le dos, à quatre pattes, dans l'attente qu'il vienne la prendre, livrant à sa vue sa croupe offerte. J'avais encore davantage adoré qu'elle y ait pris du plaisir et me le raconte, sans pudeur. La fille qui laissait sa main aller et venir sur ma queue avait touché un autre sexe. Cette vulve que je m'apprêtais à pénétrer venait de connaître la visite d'un autre. J'étais fou d'excitation.

Mon souvenir ne m'en dit pas plus à propos de cet épisode. Un deuxième se déroula plusieurs mois plus tard. Alors que Caroline et moi avions rompu, elle sortait avec un autre garçon. Puis elle avait recouché avec moi et l'avait convaincu d'une soirée tous les trois. Et je l'avais vu la prendre, avant de la baiser à mon tour. Là encore, sensations indescriptibles. Fascination d'assister au spectacle de leurs corps imbriqués, de la voir s'offrir. Il me semble que la timidité fut tout de même de mise et que je n'ai trop osé m'approcher et assumer pleinement ma posture voyeuriste, gêné. Il en ira bien différemment quelques années plus tard. Mais reste que cette première expérience de passage à l'acte candauliste fut riche d'un enseignement clair : lorsqu'on l'a vécu une fois, le désir de recommencer s'installe à jamais. Je conserve enfin de Caroline, avant que nous ne rompions définitivement pour de bon, la mémoire des confessions qu'elle me faisait, concernant les performances sexuelles de son amant suivant, doté d'un sexe de belle dimension et d'un curieux prénom, Roderic. Ah, la taille du sexe ! Pour le candauliste, plus le membre est imposant, plus l'excitation monte. Il rêve de voir sa femme jouir mieux qu'avec lui, comblée par une queue plus grosse que la sienne. Aussi me souvient-il de ma délicieuse émotion lorsque mon amie me racontait à quel point faire l'amour avec Roderic la transportait et le plaisir qu'elle tirait de sa grosse queue, combien elle en était avide. Se prêtant au jeu de m'exciter, elle donnait des détails : comment elle avait l'habitude par exemple, lorsqu'elle montait en croupe sur sa moto, de l'enlacer par derrière et de caresser son membre tandis qu'il roulaient, à travers le pantalon. Caroline partie, le fantasme est resté.

Toutes les bases étaient désormais en place pour la suite de ma vie sexuelle. Et dussé-je m'y brûler les ailes, je n'ai plus jamais cessé de rêver, avec mes compagnes successives, de revivre pareils instants. Mon obsession était née : la voir se faire prendre.


Illustration : Candaule montrant sa femme à Gygès -  William Etty, 1849